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Bible, Histoire, Archéologie

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Une bulle, empreinte d’un sceau en argile, serait peut-être la première preuve archéologique de l’existence du prophète Isaïe (ou Ésaïe) bien qu’une lettre manquante laisse planer le doute.

La découverte

Selon le Dr Eilat Mazar de l’Université hébraïque de Jérusalem et responsable des fouilles, cette empreinte de sceau, datant du VIIIe siècle avant J.-C., a été mise au jour dans les ruines de l’Ophel un espace fortifié dans l’Antiquité, situé entre le Mont du Temple et la Cité de David : «Il semblerait que nous ayons peut-être découvert une empreinte de sceau qui pourrait avoir appartenu au prophète Isaïe» a-t-elle révélé dans un communiqué de presse.
La bulle a été mise au jour en 2009 avec plusieurs artefacts, bulles, figurines, une trentaine de sceaux ainsi qu’une empreinte de sceau appartenant au roi Ézéchias. Elle a été réalisée par le même sceau que d’autres bulles d’Ézéchias apparues auparavant sur le marché des antiquités, ce qui confirme leur authenticité.
La bulle dit d’Isaïe et la bulle d’Ézéchias étaient ensevelies à trois mètres de distance.

Image ci-contre : le sceau d’Isaïe. ainsi que l’exemple d’un sceau apposé sur un document. Ouria Tadmor © Eilat Mazar.

Les ruines et les différents artefacts ont été datés de façon concluante de la période du Premier Temple (en terme archéologique, l’âge du fer II). Nous pouvons ainsi accepter que cette empreinte de sceau dit d’Isaïe remonterait entre le neuvième et le septième siècle avant J.-C.
Le prophète Isaïe, pour sa part, aurait vécu au huitième siècle avant J.-C.

La bulle comporte trois registres
Une partie importante de la zone du haut (le premier registre) est manquante, et le côté gauche du bas est endommagé vraisemblablement à cause d’un doigt écrasant l’argile tendre quand le sceau a été façonné il y a environ 2 700 ans (on peut encore y voir des empreintes digitales).

Image ci-contre : de gauche à droite : le dessin de l’empreinte, l’empreinte et le dos de l’empreinte du sceau.
Ouria Tadmor © Eilat Mazar.

Le fait qu’une partie de la bulle est endommagée fait de son déchiffrement un défi. Cependant, malgré le dommage, le texte qui nous reste est en excellent état et sa lecture aisée.

Le premier registre

Il est important de noter que la section manquante de la bulle (la partie du haut) ne contient pas de texte. À la place, Il était commun pour les anciens sceaux d’y graver des symboles ou des images. La bulle d’Ézéchias, par exemple, montrait la gravure d’un soleil avec des ailes tournées vers le bas. Le Dr Mazar estime que «le motif de ce sceau devrait être une biche en train de paître, ce qui symbolise la prospérité». (Il est intéressant de noter que ce genre de description est mentionnée dans le Livre d’Isaïe (Isaïe 11, 6 ; 13, 14 et 35, 6.)

Le deuxième et troisième registre

La partie la plus intéressante de la bulle – le texte identifiant son propriétaire – est gravée sur les deuxième et troisième registres. Le texte sur le deuxième registre est facile à lire et indique clairement, Yesha’yah[?]. Bien qu’une lettre manque sur le côté gauche (l’hébreu s’écrit de la droite vers la gauche), il n’y a qu’une option logique pour son identité. Pour que ce soit un nom, ce doit être un «w/ou» (vav en hébreu). Avec le «ou» nécessaire, ceci est incontestablement le nom hébreu Yesha’yah[ou] – ou Isaïe.
Maintenant, la question importante est posée : s’agit-il du prophète Isaïe ?

Les hypothèses sur le texte manquant

Les Écritures mentionnent sept individus nommés Isaïe, et d’autres hommes nommés Isaïe ont sans doute vécu dans l’ancien royaume de Juda. L’utilisation d’un sceau à cette époque-là (fin du VIIIe siècle avant J.-C.) ne semble pas exceptionnelle et s’est même développée dans l’administration royale.
Une grande part du problème de lecture de la bulle tourne autour de son côté gauche endommagé, et spécifiquement l’inscription du troisième registre. Il est impossible de savoir avec certitude si le troisième registre est incomplet.
Il y a clairement une bordure autour du bord extérieur de la bulle. Le texte et le motif sont positionnés à l’intérieur de cette bordure. Il n’y a pas de bordure sur le côté gauche de la bulle, à cause du dommage subi. Si nous imaginons la bordure existante continuant autour de tout le bord extérieur, nous pouvons visualiser où se situerait la bordure supposée. Eilat Mazar propose que sur le côté gauche de la bulle, entre la dernière lettre et la ligne de bordure imaginaire, il y aurait eu amplement assez d’espace sur le deuxième registre pour au moins deux lettres de plus, ainsi que sur le troisième registre pour au moins une lettre.
Finalement, le sceau apparaîtrait asymétrique et incomplet en l’absence de la lettre, symbole ou motif dans l’espace vacant des deuxième et troisième registres.

Image ci-contre : avec l’hypothèse des lettres supposées manquantes, selon Eilat Mazar. © Reut Livyatan Ben-Arie/Eilat Mazar.

Nous rappelons que la lettre manquante sur le deuxième registre est un «ou» et qu’avec cette lettre nous avons le nom hébreu pour Isaïe. Mais il y aurait suffisamment d’espace pour une seconde lettre. En fait, si l’espace entre les lettres sur le deuxième registre était égal (comme on pourrait s’y attendre), alors il serait plausible qu’une autre lettre manque. Peut-être que c’était «heh», la lettre hébraïque pour «le»?
Mais qu’en est-il du texte manquant sur le troisième registre ? Pouvons-nous savoir quelles lettres pourraient avoir occupé cet espace ?
Considérons maintenant les trois lettres qui sont présentes et qui peuvent être facilement déchiffrées. Ce sont les lettres nun, bet et yod ; ensembles elles forment nby.
Le professeur Shmuel Ahituv a étudié le sceau et suggère que nby pourrait être un surnom, ou peut faire référence à un résident d’une ancienne région de la Judée ou de la ville de Nob.
Si le deuxième mot est un nom ou un surnom (peut-être avec une lettre ajoutée), comme Shmuel Ahituv le suggère, cette inscription n’identifie pas la fonction du propriétaire ou son titre. Ceci serait inhabituel. Eilat Mazar suggère que l’option la plus probable et naturelle pour la lettre manquante est un aleph (‘). L’ajout d’un aleph sur la ligne du bas produirait nby’ – le mot hébreu pour «prophète».
C’est pourquoi, pour Eilat Mazar, nby’ est l’explication la plus probable pour le mot incomplet sur la bulle d’Isaïe.
Si la lettre manquante sur la troisième ligne était un aleph, l’inscription sur la bulle se lirait clairement, «Isaïe, prophète». Si la lettre hébraïque «heh» était gravée sur la deuxième ligne, la bulle se lirait, «Isaïe le prophète». D’autres bulles découvertes dans la même période archéologique montrent qu’il y a un précédent pour l’inscription existant avec ou sans l’article spécifique «le».

Désaccords concernant l’interprétation

Certains spécialistes rejettent l’hypothèse d’Eilat Mazar, notant que l’absence d’un aleph après le nby laisse place au doute : «La lettre d’importance critique qui serait nécessaire pour confirmer que le second mot est le titre de «prophète» est un aleph. Mais aucun aleph n’est lisible sur cette bulle, et donc la lecture ne peut pas être formellement confirmée», a déclaré Christopher Rollston, professeur de langues sémitiques à l’Université George Washington.

Image ci-contre : plan du sud du Mont du Temple aujourd’hui avec l’Ophel et la Cité de David.
© Zev Radovan. BibleLandImages.

L’épigraphiste André Lemaire, directeur d’études à l’École Pratique des Hautes Études soulève aussi une objection quant à l’interprétation de cette empreinte de sceau : «cette tentative d’identification pose, cependant, des problèmes épigraphiques, car elle est liée à une double restitution dans la partie manquante. Avec le professeur Shmuel Ahituv, je reste plus que réservé sur cette identification, car il y a un moyen plus simple de comprendre cette inscription comme «Yesha’yahu/Isaiah [de] Nob».
On connait à ce jour au moins cinq autres exemples de sceaux, de bulle ou d’estampille avec le nom nby, probablement primitivement habitant de Nob. Nby existe bien comme un nom propre dans la langue hébraïque contemporaine. Il est aussi attesté dans le ketiv (vocalisé nwby) en Néhémie 10,20.
Cela dit, la découverte d’une trentaine de bulles, dont une mentionnant le roi Ézéchias, reste très intéressante pour l’emploi de l’écriture dans l’administration royale à l’époque du roi Ézéchias, c’est-à-dire vers 700 avant notre ère».

Les ruines de l’Ophel aujourd’hui. C’est une colline située au sud du mont du Temple à Jérusalem. Elle est notamment occupée par les ruines de la cité de David. En prévision d’un siège de l’armée assyrienne le roi Ézéchias fit creuser dans la roche un tunnel-canal long de plus de cinq cents mètres et une citerne appelée bassin de Silwan (ou « piscine de Siloé ») afin d’assurer l’alimentation en eau. © Robert Hoetink 243533794.

Le contexte historique

L’Ancien Testament livre un récit approfondi de l’Histoire du royaume de Juda à la mort du roi Salomon dans la seconde moitié du Xe siècle avant J.-C. Cette période de l’histoire est marquée par les révoltes, la dégradation sociale et la confusion religieuse.
Le roi Ézéchias (environ de 726-697 avant J.-C.) a été l’une des exceptions parmi les souverains qui se sont succédés. Ézéchias a hérité du trône de Juda quand il avait 25 ans et a régné pendant 29 ans. La Bible rapporte qu’il a entrepris de réformer le royaume dès le jour où il a accédé au trône : dans une période étonnement courte, il a réussi essentiellement à centraliser le culte officiel dans le Temple de Jérusalem en supprimant les sanctuaires locaux ou «provinciaux» appelés conventionnellement «haut-lieux» qui comportaient une stèle, un autel et un « arbre sacré ».
On peut lire tous ces récits dans 2 Rois 18 à 20 ; 2 Chroniques 29 à 32, et le livre d’Isaïe.
Dans 2 Rois 18, 5. Il est dit que le roi Ézéchias «mit sa confiance en l’Éternel, le Dieu d’Israël ; et parmi tous les rois de Juda qui vinrent après lui ou qui le précédèrent, il n’y en eut point de semblable à lui.».
Ce contexte historique est important à rappeler parce que les passages bibliques rapportant les actions du roi Ézéchias montrent qu’Isaïe le prophète a joué un rôle crucial.
Il y a 15 occurrences dans l’Ancien Testament où les noms d’Ézéchias et d’Isaïe sont mentionnés dans le même verset.
Isaïe est considéré comme l’un des quatre grands prophètes, avec Jérémie, Ézéchiel et Daniel, du fait de la longueur de leurs livres. La première partie du Livre, qui est attribuée à Isaïe, s’étend sous quatre rois de Juda, Ozias, Jotham, Achaz et Ezéchias, essentiellement dans la seconde moitié du VIIIe siècle.
La plus ancienne version connue du Livre d’Isaïe fait partie des Manuscrits de la mer Morte dont il est l’un des plus importants rouleaux.
En dehors du roi David et du prophète Nathan, c’est la relation roi-prophète la plus étroite de tout l’Ancien Testament. Chaque fois que le roi Ézéchias faisait face à une crise ou avait besoin de conseil, il se tournait vers Isaïe. Et le prophète guidait le roi Ézéchias – et tout le peuple de Juda – à travers les difficultés rencontrées.