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Bible, Histoire, Archéologie

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Archéologie

Dans l’Ancien Testament, le prophète Ézéchiel proclame une série de prophéties sur les nations païennes qui environnent Israël. Parmi elles, se trouve la « complainte sur Tyr » (Ézéchiel, chapitre 27) ; que nous apprend-elle sur cette cité phénicienne si célèbre dans l’Antiquité et dans la Bible ?

Une situation géographique favorable

Image ci-contre : plan de la ville antique de Tyr. © Les Phéniciens, Sabastino Moscati. Éditions Bompiani, 1989.

La côte du Liban actuel est constituée de baies, promontoires et iles au débouché de petites vallées isolées les unes des autres, formant une étroite bande côtière coincée entre la Méditerranée et les montagnes. De nombreux cours d’eau ont ainsi accès à la mer, certains d’entre eux permettent de remonter à l’intérieur, ouvrant des routes commerciales importantes, comme la trouée de Homs au nord, principale voie de communication vers l’arrière-pays et la dépression d’Akko, au sud, vers la vallée du Jourdain. De nombreux ports s’y sont installés dès l’Antiquité depuis Arwad, Byblos, Sidon et surtout Tyr. Pourtant ces cités ne parvinrent jamais à former une seule entité politique et restèrent fragmentées.

La Phénicie ainsi que son rayonnement avec ses ports d’attache, ses comptoirs commerciaux tout autour de la mer Méditerranée. Domaine public.

Une histoire mouvementée

Image ci-contre : statue de Salmanazar III. L’incription : … Salmanazar, le grand roi, le roi puissant, roi de toutes les quatre régions, … le puissant rival des princes de la terre entière (l’univers) les grands, les rois, fils d’Assur-Nasirapli, roi de l’univers, roi d’Assyrie, petit-fils de Tukulti-Ninura, … Musée d’Istanbul, Turquie. © Gryffindor.

Le nom phénicien de Tyr, « Sur », le « rocher » vient de ce que cette ville fut établie sur une île, quasiment imprenable.  Sa fondation remonte au monde cananéen du IIIe millénaire (environ 2750 avant J.-C. selon la tradition). Son rôle semble alors peu important car elle n’est pas citée dans les archives de Mari et d’Ebla et, au deuxième millénaire, les Égyptiens la mentionnent comme un port d’escale vers Byblos. Elle ne subit pas les destructions liées aux invasions des « Peuples de la mer » vers 1200 avant J.-C et continua à se développer.
Ce qui fit la richesse de Tyr et des autres cités c’est leur rôle d’intermédiaires incontournables entre les régions riveraines de la Méditerranée et l’Égypte, l’Orient et l’Arabie ; leur maitrise de la navigation et leur flotte en font des partenaires commerciaux indispensables. Toutefois, comme toute la région du Levant sud, elle fut confrontée aux grands empires néo-assyrien puis néo-babylonien, perse, grec, enfin romain.
Pendant la période de l’empire néo-assyrien, de Salmanazar III (858-820) à Assurbanipal (668-631), les cités phéniciennes et particulièrement la ville de Tyr, subissent assauts, assujettissements et révoltes sans cesse renouvelés. Un des points culminants de ces révoltes se produit en 701, sous le roi de Tyr Luli, obligé de se réfugier dans sa colonie chypriote de Kition d’où il continue à diriger la révolte contre Sennachérib qui assiège l’île pendant 5 ans sans pouvoir la prendre ; privée de ses ressources, la ville connaît une période extrêmement difficile ; cependant le roi assyrien profite de la soumission des autres cités phéniciennes et notamment Sidon pour remettre à Ittobaal installé sur le trône de Sidon par ses soins, le territoire pris à Tyr qui s’étendait de Sidon à Akko. Pourtant, en 677, le roi de Sidon Abdimilkot, se révolte à son tour contre la pression fiscale des Assyriens. Assarhaddon réagit de façon implacable : il rase la ville, démantèle ses remparts et les jette à la mer et fait représenter son roi tenu en laisse sur un bas-relief ; il s’empare de toutes les villes sidoniennes et en fait une province assyrienne. Il finit par imposer aussi  un traité à Tyr, moyennant la cession des deux villes de Marubbu et de Sarepta. Ainsi les deux cités phéniciennes sont-elles neutralisées.

Sous Nabuchodonosor II, à la suite d’une révolte, le siège est mis devant la ville ; il dura 13 ans (vers 585/573 avant J.-C.) et toute la région de terre ferme fut dévastée sans que les Néo-babyloniens réussissent à s’emparer de l’île, mais le roi de Tyr dut tout de même se rendre et payer le tribut. C’est cet épisode que retrace la complainte du prophète Ézéchiel, contemporain des événements.
Intégrée dans l’empire perse après 539, Tyr fournissait des flottes aux souverains achéménides, notamment contre la Grèce.
Plus tard (332 avant J.-C.), sous Alexandre le Grand, la ville qui refusait d’ouvrir ses portes au conquérant subit un nouveau siège, une jetée fut construite, la ville fut prise, pillée, une partie de la population massacrée.

Image ci-contre : une monnaie en argent à l’effigie d’Alexandre le Grand.

Le commerce de Tyr reprendra mais ne retrouvera plus l’importance d’antan. En 64 avant J.-C., Tyr passe sous domination romaine et devient une simple ville de province de peu d’envergure.

Sur la reconstitution de la porte de Balawat en Assyrie, le détail d’un assaut des soldats assyriens sur la ville assiégée de Tyr. © British Museum.

Une expansion commerciale sans précédent

« Quand les produits de tes marchés sortaient de la mer, tu rassasiais un grand nombre de peuples » (Ézéchiel 27, 33). « Tous les navires de la mer et leurs marins étaient chez toi pour négocier leurs marchandises ; » (27, 9).

Image ci-contre : statuette de divinité phénicienne exhumée à Homs, milieu du IIe millénaire avant notre ère.
Le serpent enroulé autour de la divinité représente son pouvoir sur les forces de la nature. ©
Musée du Louvre, Paris.

Au début du Xe siècle avant notre ère, Tyr devint la ville la plus importante en Phénicie. Son implantation sur un rocher et sa forme de bateau la fait comparer à un navire par Ézéchiel au début de sa complainte. Son apogée coïncide avec l’arrivée au pouvoir de Hiram Ier (vers 950/936) qui fit construire le port nord (dit « port sidonien » car orienté vers Sidon) et posa les bases d’un commerce international en mer Égée, sur la côte sud-ouest de Chypre, le sud de la Crète et la mer Rouge (expédition conjointe avec les Hébreux pour la recherche d’or et de pierres précieuses). Il établit des relations privilégiées avec le roi David et lui livra du bois de cèdre pour la construction de son palais (2 Samuel 5,11) ; cette alliance se poursuivit avec Salomon à qui il livra également du bois de cèdre pour l’édification du Temple à Jérusalem mais aussi des artisans d’art capables de travailler le bronze, l’or, les incrustations d’ivoire dans du bois d’ébène, le tissage des tentures ; en échange Salomon envoyait chaque année à Tyr six mille tonnes de blé, neuf mille litres d’huile d’olive et autant de vin (on a retrouvé des amphores de 180 litres pour le transport dans une épave au large d’Ashkelon). (1 Rois 5,22 et 2 Chroniques 2,8). C’est lui qui fait édifier les trois principaux sanctuaires de Tyr, celui d’Astarté, de Baal Shamin et le plus célèbre, celui de Melkart avec ses deux stèles (ou bétyles ?), une en or, l’autre en émeraude, qu’Hérodote a pu voir encore de son temps (vers 484-425 avant J.-C.) ; il fit aussi bâtir un palais à l’angle sud-ouest de l’île et aménager la place centrale du marché.
Mais c’est Itho-Baal ancien prêtre de la déesse Astarté (vers 887/856 avant J.-C.) qui consolida l’hégémonie de Tyr ; il fit construire le port sud de l’île (dit « égyptien » car tourné vers l’Égypte) et les murailles qui protégeaient la ville ; ces fortifications semblent confirmées par les reliefs qui figurent sur les portes de bronze de la ville de Balawat, en Assyrie, sur lesquelles Tyr est représentée avec une enceinte crénelée comportant des tours et deux portes. Il entretint des relations étroites avec la dynastie d’Omri en Israël (mariage de sa fille Jézabel avec  le roi Achab et introduction du culte de Baal en Israël) ; à la recherche de matières premières, il fonda la première colonie tyrienne connue à Kition (Chypre) pour le commerce du cuivre.

Image ci-contre : un bas relief représentant Sargon II, roi d’Assyrie. © Musée égyptien de Turin.

Par la suite, Tyr connut une incroyable expansion commerciale dans toute la Méditerranée, avec la fondation de nombreux comptoirs et colonies à Chypre, Sicile, Sardaigne, Espagne (Tarsis), sur la côte africaine et bien sûr, la plus connue, Carthage (fondée au IXe siècle avant J.-C.) ; tous ces comptoirs commerciaux étaient implantés dans des régions donnant accès à des ressources minières (cuivre, étain, fer, or, argent).

Ézéchiel (au VIe siècle avant J.-C.), peut donc placer Tyr à juste titre au centre d’un réseau d’échanges commerciaux qui comporte le Proche-Orient, l’Anatolie, la péninsule arabique, l’Égypte mais aussi les îles de la Méditerranée et l’Espagne. Sa flotte, ses marins et la maîtrise de la navigation en faisait un partenaire obligé pour de nombreux pays : par exemple le roi assyrien Sargon II, voulant envahir l’Égypte, doit faire appel à la flotte phénicienne.

Que nous apprend Ézéchiel de la richesse de Tyr ?

Image ci-contre : un mollusque à coquillage (murex) dont on extrayait l’indigo et la pourpre, couleur rare et précieuse, qui valait son pesant d’or dans l’Antiquité. De 7,5 cm x 4 cm. Domaine public.

Parmi les produits les plus cités par Ézéchiel, il y a les tissus teints et brodés : fin lin (byssus) d’Égypte, laine blanche de Damas, tentures, vêtements. Ils étaient souvent teints en indigo (bleu-violet) ou en pourpre (différentes nuances de rouge) ; cette couleur était une spécialité phénicienne tirée d’un mollusque à coquille, le murex ; une once de cette précieuse teinture valait plus que son poids d’or et sa renommée a traversé toute l’Antiquité car elle était réservée aux plus hauts personnages de l’État ; son déclin se produit après le IVe siècle de notre ère.
Les cèdres du Liban ont été recherchés notamment par les Égyptiens dès le IVe millénaire et nous avons de nombreuses traces archéologiques de ce commerce avec Byblos d’abord, puis Tyr.

Image ci-contre : une illustration d’un navire antique phénicien. Domaine public.

Les Phéniciens achetaient et vendaient aussi des esclaves et le prophète Joël leur reproche de vendre des Hébreux aux Grecs ; les marins allaient fournir la cité en chevaux sans doute prélevés en Arménie, mais aussi en parfums, encens et résines aromatiques, produits de luxe qui avaient autant de valeur que les métaux précieux. Enfin, disposant de sables fins riches en silice, les Phéniciens ont mis au point dès le VIIIe siècle avant J.-C. une industrie du verre pour de la vaisselle de luxe mais aussi de la pâte de verre de faïence, fabriquant de la verroterie qu’ils échangeaient tout autour de la Méditerranée.

Ainsi, le texte d’Ézéchiel nous fournit un riche inventaire du commerce de Tyr, inventaire confirmé par de nombreuses trouvailles archéologiques avec des marchandises extrêmement variées. Il en ressort que c’était, à l’époque, la plus riche des cités commerciales de Méditerranée.

Image ci-dessus : des petits masques pendentifs en verre. Ce sont des images symboliques de la culture matérielle phénico-punique, IVe et IIIe siècle avant J.-C. © Musée du Louvre, Paris.
Image ci-dessous : Site antique de Tyr. De la puissante cité phénicienne et, selon les Écritures, de son influence sur la Période royale d’Israël, il ne reste aujourd’hui que d’imposantes ruines des époques romaine et byzantine. © Kareen Truschel.